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Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/90

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Quelque chose d’étrange semblait planer dans le brouillard au-dessus de la forêt ; le bruit du cerf qui s’enfuyait résonnait comme un roulement de tonnerre lointain, devenait plus sourd en s’éloignant et se perdait dans la profondeur du bois…

Il commençait à faire sombre quand Olénine, affamé, fatigué, mais heureux et dispos, revint à la maison. Le dîner était servi. Il mangea, but un verre avec le Cosaque, se sentit ranimé et alla s’asseoir sur le perron. Les montagnes reparurent devant lui à l’horizon, le vieux recommença ses interminables récits sur les chasses, les Abreks, ses maîtresses et ses prouesses d’autrefois. La belle Marianna passait et repassait dans la cour ; les formes vigoureuses et virginales de la jeune beauté se dessinaient sous la toile qui les recouvrait.


XX


Le lendemain, Olénine alla seul, sans le vieux Cosaque, à l’endroit où ils avaient fait lever le cerf. Au lieu de passer par la porte cochère, il grimpa par la haie vive des prunelliers, à l’instar des Cosaques. Il n’eut même pas le temps de détacher son habit, accroché aux épines, que son chien fit lever deux faisans. À peine était-il entré dans les prunelliers, que les faisans se levaient à chaque pas. Le vieux Cosaque ne lui avait point parlé de cet endroit, le réservant pour lui-même. Sur douze coups, Olénine abattit cinq faisans ; il se fatigua à tel point, en les cherchant dans les arbres, qu’il se mit en nage. Il rappela son chien, désarma son fusil, serra la balle, et, chassant les moucherons avec les longues manches de sa tcherkeska, il s’achemina lentement vers l’endroit où il avait été la veille. Mais il lui fut impossible d’arrêter son chien, et il se laissa entraîner à tuer encore deux faisans ; il était midi quand il reconnut l’endroit qu’il cherchait.