Page:Tolstoï Les Cosaques.djvu/91

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La journée était chaude et calme, le ciel sans nuages. La rosée avait entièrement séché, même dans le bois, et des myriades de moucherons s’abattirent sur le visage, le cou, les mains d’Olénine. Son chien noir paraissait gris, tellement il était couvert de moucherons. Ils piquaient Olénine à travers son habit, devenu gris de même ; il ne savait comment leur échapper et se disait qu’il n’y avait pas moyen de vivre en été à la stanitsa.

Il allait rebrousser chemin quand il se dit que d’autres que lui y vivaient pourtant, et il se décida de s’armer de patience et à se laisser dévorer. Chose étrange ! vers midi cette sensation lui parut presque agréable. Il lui sembla même que, s’il n’était pas enveloppé de cette atmosphère bourdonnante, de cette masse compacte de moucherons qui s’écrasaient sous sa main quand il essuyait la sueur de son visage et qui irritaient sa peau, le bois aurait perdu de son caractère sauvage et de son attrait. Ces myriades d’insectes allaient bien à cette puissante végétation, à cette sombre verdure, à cette foule d’oiseaux et de bêtes qui remplissaient la forêt, à cet air brûlant, à ces filets d’eau échappés au Térek et jaillissant çà et là sous la feuillée, et il finit par trouver du charme à ce qui lui avait paru insoutenable et affreux. Il parcourut l’endroit où le cerf avait été la veille, et, n’y trouvant rien, il songea à se reposer. Les rayons du soleil dardaient perpendiculairement sur les arbres et lui brûlaient le dos quand il traversait une clairière. Sept faisans pendus à sa ceinture pesaient lourdement sur ses reins. Il trouva les traces du cerf, pénétra dans le fourré, sous les broussailles où l’animal avait été blotti, et se coucha dans son gîte. Il promena ses regards sur la sombre verdure qui l’entourait, sur le creux où se voyaient les traces de l’animal, l’empreinte de ses jambes, un morceau de terre noire retournée, et la trace de ses propres pas. Il se sentit à l’aise, au frais ; il ne pensait à rien, ne désirait rien. Il fut saisi tout à coup d’une ineffable sensation de