Page:Tolstoï - Anna Karénine, 1910, tome 2.djvu/222

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Alexandrovitch se vit un jour dans l’alternative de choisir entre une demande en mariage ou une démission. Longtemps il hésita, trouvant autant de raisons contre ou pour le mariage ; mais il ne put cette fois appliquer sa maxime favorite : « Dans le doute, abstiens-toi. » Un ami de la tante d’Anna lui fit entendre que ses assiduités avaient compromis la jeune fille, et qu’en homme d’honneur il devait se déclarer.

C’est ce qu’il fit, et dès lors il reporta sur sa fiancée d’abord, puis sur sa femme, la somme d’affection dont sa nature était capable.

Cet attachement exclut chez lui tout autre besoin d’intimité. Il avait de nombreuses relations, pouvait inviter à dîner de grands personnages, leur demander un service, une protection pour quelque solliciteur ; il pouvait même discuter et critiquer librement les actes du gouvernement devant un certain nombre d’auditeurs, mais là se bornaient ses rapports de cordialité.

Les seules relations familières qu’il eût à Pétersbourg étaient son chef de cabinet et son médecin. Le premier, Michel Wassiliévitch Sludine, un galant homme, simple, bon et intelligent, paraissait plein de sympathie pour Karénine ; mais la hiérarchie du service avait mis entre eux une barrière qui arrêtait les confidences. Aussi, après avoir signé les papiers qu’il lui apportait, Alexis Alexandrovitch trouva-t-il impossible, en regardant Sludine, de s’ouvrir à lui. Sa phrase : « Vous savez mon malheur » était sur ses lèvres ; il ne put la prononcer,