Page:Topffer - Nouveaux voyages en zigzag Grande Chartreuse, 1854.djvu/32

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qui traduit, qui accorde le substantif avec l’adjectif, et de là une foule de solécismes colossaux, de monstrueux barbarismes.

Arrive enfin le jour du départ. Dès avant l’aube, il y a mouvement dans la maison, et sans que personne se soit mêlé de réveiller, il se trouve que tout le monde est debout, blousé, ficelé, ajusté, prêt à partir, aussitôt que l’aurore sera venue éclairer les campagnes de ses premières lueurs. Dès qu’elle paraît, on éteint les lumières, on ferme la porte, et l’on se met en route. Tout à l’heure le soleil embrase les cieux, perce les taillis, illumine les prairies, et il y a là un moment où l’âme, dorée aussi des plus purs rayons de la joie et du plaisir, se trouve être à l’unisson de cette allégresse qui éclate dans la nature. Mais avant d’aller plus loin, donnons le signalement des voyageurs.

Hippolyte d’Herviers, surnommé Scevola à cause de certaines ténacités farouches, marche cambré et la pointe des pieds en dedans. Naturaliste au premier chef, il fatigue les papillons à la course, il collectionne les chenilles, récolte le tithymale, et court sus à tous les capricornes, à tous les grillons, à tout ce qui vole, rampe ou bruit. Par malheur, il classe mal et est sujet à confondre les règnes. Du reste, s’il lui arrive de traverser la grande route, il ne la suit jamais, et on le voit de loin couché contre la rampe des ravins, à moitié enfoui sous les broussailles ou courant dans les hautes herbes.

Henri d’Herviers, frère du précédent, n’est pas le moins du monde naturaliste, et les prouesses de son frère lui apparaissent comme une étrangeté plutôt encore permise que raisonnable, dont il fait d’ailleurs un mince cas. Silencieux, philosophe, observateur, il marche à son pas, ne parle qu’à ses heures, et entend qu’on respecte son sommeil. Du reste, il vit bien avec tout le monde et détestablement avec son sac, qu’il considère comme un vil paresseux, incapable d’avancer sans qu’on le porte.

Louis Blondeau a le galbe imberbe, l’œil clair et l’esprit incertain. D’ailleurs sa blouse est ventrue, et des endroits, c’est le nom surtout qui lui importe. Quand il a pu l’attraper, il le prend en note et vit content.

Nicolas Christoforo, appelé le petit à cause de sa taille et à cause de sa prononciation, a l’allure mystérieuse, le regard arcane, le langage couvert et circonspect. Blousé pour la forme, mais secrètement habillé par-dessous.

François Bartelli, dit grand bel homme à cause de sa charpente colossale, de son œil noir et de sa chevelure touffue, parle comme quatre, rit comme douze, et ne se tait que lorsqu’il s’est hissé clandestinement sur