harmonie, de savant et gracieux accord, en telle sorte qu’à mesure qu’on y pénètre, l’on a le récréatif spectacle de profils nouveaux, de corniches, de moulures, de styles autres, de colonnes et de façades diverses d’âge et de caractère, et qu’au lieu d’embrasser d’un coup d’œil une rue à perte de vue qui est l’exact fac-simile de toutes les autres, l’on ne voit à la fois qu’un espace restreint, qu’un bout de place ou qu’un devant d’édifice, qui ne vous apprend quoi que ce soit de la figure qu’auront les autres. Cependant la rue tourne, fléchit, se rompt ou se divise, et comme partout l’architecte a décoré les contours, balancé les lignes, assorti les ornements, ménagé les transitions, partout aussi, à la place des mornes produits de la symétrie et du cordeau, l’on a les produits vivants et animés du goût, de la fantaisie et de l’invention.
Néanmoins, vivent la symétrie et le cordeau ! Ils constituent, en architecture civile, une sorte de beau facile à saisir, plus facile encore à raconter et que préfèrent à ce titre une infinité de commis voyageurs, presque tous les porteurs d’eau, un grand nombre d’étrangers de marque, et en général les administrations et municipalités, en tant qu’elles sont sous l’immédiate influence de quelque principe essentiellement un et niveleur, comme serait le principe purement monarchique, par exemple, ou le principe purement démocratique, par exemple aussi. Le pays où de nos jours on bâtit le plus au cordeau, c’est l’Amérique du Nord, et cela doit être, en vérité ; car là où les institutions sont toutes au cordeau, l’architecture doit l’être aussi ; là où tout est matérialisé, l’art doit être matérialisé aussi ; et la symétrie, le cordeau, deux procédés partout ailleurs accessoires en architecture et subordonnés aux conceptions artistiques de la pensée, doivent y primer par-dessus la pensée et la conception artistique, ou plutôt en tenir lieu.
Mais, hâtons-nous de le dire, Turin, malgré une régularité de plan et une uniformité de construction qui lui ôtent l’agrément de la diversité et le charme de la vie, est une ville riche en beaux bâtiments et en édifices d’un goût admirable. D’ailleurs, posé sur la rive d’un fleuve, au sein d’une riche campagne où ondulent des coteaux, et d’où l’on voit l’auguste amphithéâtre des Alpes ; bien mieux qu’aucune autre grande cité, il se passe des ornements intérieurs d’une architecture pittoresquement variée. C’est un magnifique séjour, un digne vestibule de Gênes ; et s’il n’est pas aussi somptueux que cette dernière ville, c’est qu’il n’appartient pas aux monarques eux-mêmes d’accomplir à eux seuls ce qu’ont pu accomplir tous ensemble des centaines d’armateurs et de marchands riches eux-mêmes