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Seyssel. « Ces messieurs, nous dit-il agréablement, ont vu les Charmettes, c’est un établissement bien remarquable. Tous les étrangers y vont à cause principalement de Rousseau. Quant à moi, j’ai quitté Aix à six heures, et me voici. »

Vers une heure, nous partons, et la pluie, qui avait cessé, recommence de plus belle. C’est alors à qui parviendra, par des prodiges d’invention, à se maintenir sec et incrotté au milieu de l’eau et de la boue. De tous les moyens, celui qui réussit le mieux, c’est d’entrer chez un boulanger et d’y croquer des miches autour d’une table. Au bout de trois, de quatre miches, on est séché comme si l’on sortait du four.

Cependant Henri, le philosophe, s’est acheté un moineau, dont il veut faire son ami de voyage. Ce moineau est charmant, vif, gai, familier, presque trop, car il en vient à se permettre… Le fait est que soudainement Henri secoue sa paume, et le moineau s’envole. De loin, l’on croit qu’il n’avait acheté cet oiseau que pour lui rendre généreusement la liberté ; de près, on s’assure que sans l’accident il le tiendrait captif encore : et c’est ainsi que les actions des hommes sont presque toujours plus belles de loin que de près.

La pluie continue de tomber à verse, et pourtant le boulanger nous fait remarquer que Baromètre est au tout grand beau ; c’est que Baromètre est en effet un tout grand farceur, et son art ressemble à celui de ces médecins qui prédisent le mieux juste au moment où l’âme s’envole, ou encore qui proclament du sinistre alors que l’agitation et le trouble sont les signes de la vie qui revient, de la santé qui accourt. Au surplus, pour ne pas finir nos jours chez ce boulanger, qui d’ailleurs n’a plus de miches,