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pauvre prisonnier pour qui cette belle nature est invisible.

— Une charmante composition ! dit-elle, et remplie de sentiment… Mais pourquoi gêner un penchant qui paraît si décidé ?

— Ce sont ses tuteurs ; ils veulent qu’il suive la carrière du droit.

— Ses tuteurs !… Il est donc orphelin ?

— Depuis longtemps. Il n’a plus qu’un vieil oncle qui pourvoit à son éducation.

— Pauvre enfant ! dit la jeune Anglaise avec un accent plein de compassion.




Ces paroles m’enivrèrent. Elle m’avait plaint ; c’était assez pour que je fusse glorieux de me trouver orphelin, pour changer en félicité mon plus grand malheur.

Oh ! que j’eusse voulu retenir sur moi sa pensée ! Mais, au lieu de ce bonheur suprême, ses discours changèrent d’objet ; et j’appris, par quelques mots, que dans huit jours elle repartirait pour l’Angleterre. Que deviendrais-je alors, face à face avec M. Ratin ! Je m’abandonnai à la tristesse.

Angleterre ! pays charmant, vers lequel voguent les navires ; frais rivages, parcs ombragés, où vont les jeunes miss promener leur mélancolie !… Ici, tout est sans charme ; ici, rien n’est aimable ; et je regardais le lac sans plaisir.

Quand elle s’éloignera ! quand d’autres contrées la verront passer !… quand, à l’heure de midi, elle voyagera par les routes poudreuses, laissant tomber ses regards sur la verdure des arbres, des prés !… que ne suis-je dans ces prés, sous ces arbres !… Jeune miss,