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vous fuyez ?… Que ne suis-je devant ses chevaux, exposé à être foulé par eux ! Je verrais sa crainte, je retrouverais sa compassion ! Et je m’imaginais que sans sa compassion ce n’était pas la peine de vivre.




La séance était finie. Tout en songeant ainsi, j’attendais avec une avide impatience que le portrait vînt à la galerie ; mais le soir arriva avant qu’il eût paru, et les jours suivants se passèrent dans cette ingrate attente. C’est alors que, les événements m’ayant conduit vers la lucarne, je ne pus résister au désir d’aller, jusque dans l’atelier même, contempler les traits de celle qui régnait sur mon cœur. On a vu quelle catastrophe s’ensuivit, et comment j’étais resté à songer au milieu d’un beau désordre. Je reprends mon récit.

J’avais cette fois le sentiment très-net de ma ruine définitive. Déjà coupable de mensonge et de lèse-Elzévir, aller encore enfoncer une porte, lire des livres défendus, puis m’échapper de ma prison, puis courir les toits, puis porter le ravage et la destruction dans un atelier, déranger un mannequin, percer un tableau !… Affreuse série de crimes, dont M. Ratin tenait le premier chaînon, à savoir le fou rire.

Que faire ? arranger, réparer, remettre en place ? Impossible, il y avait trop de mal. Inventer une fable ? Tout à l’heure, à propos du hanneton, je n’avais pas trouvé que ce fût si facile. Avouer ? Plutôt tout au monde ; car il aurait fallu laisser voir que j’étais amoureux, et, au seul soupçon d’une pareille immoralité, je voyais toute la pudeur de M. Ratin lui monter au visage, et son seul regard m’anéantir.

Je résolus de reprendre le chemin de ma cham-