Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/120

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ne pas l’obliger à marcher sur cette route poudreuse ; mais quand j’approchai, la honte et l’émotion me firent ralentir le pas, et je finis par m’arrêter à quelque distance d’elle.

— Vous êtes monsieur Jules, n’est-ce pas ? me dit-elle d’un ton affable.

— Oui, mademoiselle.

— Oh ! comme le soleil vous brûle ! montez, je vous prie, dans la voiture… Votre maître est fort en peine, et j’ai bien du plaisir que nous vous ayons rencontré…

— Montez, mon ami, dit le vieillard, qui avait mis la tête à la portière, montez ; nous causerons un peu de votre affaire… Vous devez être fatigué ?

Je montai, et la voiture repartit aussitôt.

J’étais dans un état d’ivresse qui m’ôtait la parole. Le bonheur, le trouble, la honte, faisaient battre mon cœur, et coloraient d’une vive rougeur mon visage hâlé. Je tenais encore le reste de mon morceau de pain noir.

— Vous n’avez pas fait bien bonne chère, à ce que je vois, me dit le vieillard. De quel hôtel sortez-vous, je vous prie ?

— De chez des paysans, monsieur, qui m’ont hébergé cette nuit.

— Et où comptiez-vous aller ce soir ?

— À Lausanne, monsieur.

— Aussi loin que cela ! reprit la jeune miss, et découvert comme vous êtes ?

— Plus loin encore, partout, mademoiselle, jusqu’à ce que j’aie rencontré mon oncle ! Et les larmes me vinrent aux yeux.

— Il n’a plus que lui ! dit-elle à son père. Et elle fixa sur moi un regard compatissant, dont le charme