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réalisait tout ce que j’avais rêvé de plus hardi à ma fenêtre.

— Mon enfant, reprit le bon vieillard, vous allez rester avec nous jusqu’à Lausanne, où nous vous remettrons aux mains de votre oncle. Vous avez fait là un coup de tête ; de quoi donc aviez-vous si peur ?

— C’est moi, monsieur, qui ai donné cette lime au prisonnier ; Il souffrait cruellement, je vous assure. C’était seulement pour desserrer un de ses fers…

— Eh bien, je ne vois là, mon ami, que le mouvement d’un bon cœur. À votre âge, on n’est pas tenu de savoir que lorsqu’un prisonnier emprunte une lime, ce n’est jamais que pour un certain usage. Mais vous ne me parlez pas de l’atelier. C’est pourtant vous, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur. Je l’aurais dit au peintre, à mon oncle, à vous… mais j’avais peur de M. Ratin.

— C’est donc un terrible homme que ce monsieur Ratin ? Mais encore, qu’alliez-vous faire dans cet atelier ? Est-ce vous qui avez retourné le portrait de ma fille ?

Je rougis jusqu’au blanc des yeux.

Il se mit à rire. — Ah ! ah ! c’est ceci qui est grave ! car ce n’était sûrement pas pour voir ma figure. À vous, Lucy, de vous fâcher.

— Point du tout, mon père, dit-elle en souriant avec une grâce charmante. Je sais que M. Jules aime les arts ; il dessine lui-même avec talent : rien de plus naturel qu’il voulût voir l’ouvrage d’un homme habile.

— Lucy, reprit le vieillard avec une douce malice, vous n’êtes pas tenue non plus de savoir que, lorsqu’on retourne un tableau où se trouve votre figure, il est fort naturel que ce soit pour la voir… Puis, comme il voyait ma honte : — Ne rougissez pas, mon enfant ; croyez