Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/130

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et presque toujours pour le pot cassé ; je regarde au loin s’il lui vient des renforts, je tremble pour son aile droite qui plie, je frémis pour l’aile gauche déjà minée par un filet..... tandis que le brave vétéran, entouré de son élite, tient toujours, quoique submergé jusqu’au front. Mais qui peut lutter contre le ciel ? La pluie redouble ses fureurs, et la débâcle..... Une débâcle ! Les moments qui précèdent une débâcle, c’est ce que je connais de plus exquis en fait de plaisirs innocents. Seulement si, pour franchir le ruisseau, les dames montrent leur fine jambe, je laisse la débâcle, et je suis de l’œil les bas blancs jusqu’au tournant de la rue. Et ce n’est là qu’une petite partie des merveilles qu’on peut voir de ma fenêtre.

Aussi je trouve les journées bien courtes, et que, faute de temps, je perds bien des choses.




Au-dessus de ma chambre est celle de mon oncle Tom. Assis sur un fauteuil à vis, l’échine courbée en avant, tandis que le jour glisse sur ses cheveux d’argent, il lit, annote, compile, rédige, et enserre dans son cerveau la quintessence de quelques mille volumes qui garnissent sa chambre tout alentour.

Au rebours de son neveu, mon oncle Tom sait tout ce qu’on apprend dans les livres, rien de ce qu’on apprend dans la rue. Aussi croit-il à la science plus qu’aux choses mêmes. Vous le trouveriez sceptique sur sa propre existence, très-dogmatique sur tel système nuageux de philosophie. Du reste, bon et naïf comme un enfant, pour n’avoir jamais vécu avec les hommes.

Trois bruits distincts m’annoncent presque tout ce