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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/142

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mais dont les traits étaient animés par l’expression d’une mélancolique bonté. Insensiblement elle avait pris un air qui m’était plus connu ;… enfin elle s’était trouvée ma chère juive. Elle aussi, douée de tout ce que je lui désire, paraissait se plaire à me considérer ; et, quoiqu’elle ne parlât pas, son regard avait un langage qui me touchait au plus doux endroit de mon cœur. Je voyais sa belle tête s’incliner sur mon front, je sentais sa douce haleine, et à la fin sa main avait trouvé la mienne. Alors, une émotion croissante m’agitant, mon rêve peu à peu perdit sa quiétude. Les images devinrent flottantes et incertaines ; et, de figure en figure, je ne vis plus que celle de mon oncle Tom, qui avait pris ma main pour me tâter le pouls, et dont la tête, inclinée sur la mienne, me considérait au travers de ses besicles.




Oh ! que la figure de mon oncle Tom me parut affreuse en ce moment-là ! Je l’aime, et beaucoup, mon oncle Tom ; mais passer du plus doux objet à la figure de son oncle, des plus charmants songes du cœur aux froides réalités ! Il en faut moins pour faire prendre en dégoût et la vie et son oncle.

— Tranquillise-toi, Jules, me dit-il, je suis sur la trace de ton mal. Et, continuant à m’observer, il feuilletait un vieux in-quarto, comme pour ajuster d’après l’auteur le remède aux symptômes.

— Oh ! je n’ai point de mal ! vous vous trompez, mon oncle ; le seul mal est de m’avoir réveillé. Ah ! j’étais si heureux !

— Tu étais bien, tu étais tranquille, heureux !

— Ah ! j’étais au ciel. Pourquoi m’avez-vous réveillé ? Ici, une joie visible, mélangée d’une teinte d’orgueil et