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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/234

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en vous quelque sympathie pour la douleur, pour le vide plus grand encore, que j’éprouve.

« J’ai fait, madame, une perte immense : mon oncle m’avait élevé ; il m’avait établi, marié ; mais surtout il m’avait réchauffé sous l’aile de cette bonté parfaite que je ne retrouve nulle part. J’ai perdu cette âme sereine qui présidait à ma vie, cet esprit aimable dont la gaieté si douce et si simple alimentait chaque jour quelques-unes de mes heures ; j’ai perdu tous ces biens, quand à peine je commençais à les apprécier et à les reconnaître… Que je comprends, madame, l’affliction où je vous vis autrefois ! que je m’y associe ! combien de ces larmes que je verse sont communes à votre douleur et à la mienne ! Du moins les vôtres n’eurent rien d’amer ; j’ai entendu votre père rendre un éclatant hommage à votre filiale affection, tandis que mon pauvre oncle s’est éteint avant que je l’eusse mis dans le cas de m’en donner un semblable.

« Qu’il est donc triste, madame, de perdre ces êtres de choix, de voir se rompre cette douce attache qui ne peut plus se renouer sur la terre ! Je m’étonne, je me reproche que de funestes prévisions n’aient pas plus souvent troublé mes heures ; je me souviens que vos yeux se mouillaient à l’avance, pénétrée que vous étiez de l’appréhension d’une perte plus ou moins prochaine, mais dans tous les cas irréparable. Et moi, insouciant de l’avenir, je jouissais, presque sans inquiétude, de tant de rares qualités auxquelles l’âge ajoutait comme un attrait vénérable et sacré.

« Mon bon oncle s’est éteint comme il a vécu, calme, serein, presque gai. Il a vu la mort s’approcher, enchaîner ses membres, le refroidir par degrés, et il semblait jouer avec elle. Tant qu’il l’a pu, il n’a rien