Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/235

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changé à ses habitudes ; seulement, quand il est devenu nécessaire qu’il renonçât à ses travaux, il a commencé à nous retenir plus longtemps auprès de lui. Ses souffrances, j’en bénis Dieu ! n’ont jamais été extrêmes, et il les accueillait sans aigreur, comme un hôte importun, mais qu’encore faut-il recevoir et presque traiter avec égard. Pour nous, assis autour de son chevet, nous retenions nos larmes, qui l’eussent affligé plus que ses propres maux, et nous devions parfois sourire aux propos mêmes qui témoignaient de sa souffrance, parce qu’il s’y glissait encore quelques traits de gaieté. C’était pourtant un spectacle digne d’une profonde pitié. Il semble qu’à ces êtres si bons la souffrance soit un outrage, et le cœur se révolte contre un mal barbare qui ne choisit pas entre ses victimes.

« C’est dimanche passé qu’il est mort dans mes bras. À l’ouïe des cloches du matin, il s’est pris à dire : — C’est bien la dernière qui sonne, cette fois… Ce mot a fait couler nos larmes… — Vraiment, a-t-il repris… vous allez me persuader que je n’ai pas assez vécu, mes enfants ; … je suis content ainsi… N’oubliez pas ma vieille Marguerite… Elle a eu grand soin de mes bouquins,… et de moi… Jules, quand tu écriras à cette chère madame (il vous nommait toujours ainsi), ma bénédiction, s’il te plaît, sur elle et sur ses enfants… et que je compte voir son père au séjour des nobles âmes,… si toutefois, a-t-il ajouté, l’on m’admet à l’y visiter.

« Après quelque silence il a repris : Cette mauvaise me trouve plus dur qu’elle n’avait compté,… je lui tiendrai tête jusqu’à ce que j’aie tout fini… Le testament est là, dans le tiroir à gauche… Ma bonne Henriette ! c’était plaisir que de vivre auprès de vous…