tient de voir se terminer ce repas que mes heureux hôtes prolongeaient au contraire, et non pas seulement en propos. Quel unisson dans leurs appétits ! pensais-je, mais surtout quel appétit ! Est-il bien possible qu’on puisse manger autant lorsqu’on s’aime ! c’est donc là que conduit l’amour conjugal ! Oh ! qu’il est différent de cet amour passionné dont le trouble fait le charme, qui vit de ses seules pensées, qui s’alimente de sa propre flamme ! Et tu songerais, Édouard (c’est mon nom de baptême), tu songerais…
— Vous êtes tout pensif, me dit alors obligeamment la jeune épouse de mon ami. Qu’avez-vous donc ?
— Il est triste, lui répondit pour moi celui-ci, comme sont les vieux garçons. À propos, où en sont tes amours, Édouard ?
— Ils sont, lui dis-je, beaucoup moins avancés que les vôtres.
— Diable ! je l’espère bien.
— Moi aussi.
Je ne sais comment ce mot désobligeant m’échappa. Mon ami se tut ; sa femme parla d’autre chose, et je restai tout honteux et en colère contre moi-même, faisant en silence de petites boulettes avec de la mie de pain, et regrettant amèrement de n’avoir pas dîné chez moi, où je n’aurais désobligé personne. Aussitôt que je pus le faire sans trop d’impolitesse, je pris congé, et je m’empressai de regagner mon logis.
Il y avait bon feu. Je tirai mon cure-dent ; pour moi, c’est le cigare. Tout en me récréant ainsi, je songeais à mon ami le père de famille ; et, remaniant par la pensée son air, son ton, sa phrase, j’en vins à m’applaudir presque de la brusque repartie qui m’était échappée. Au fond, il existe une secrète rancune entre les