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la première fois sous leur vrai jour toutes les ressources de ma condition, je songeais à créer au plus tôt autour de moi ce bonheur que j’avais toujours entrevu comme lointain et dépendant de la mort d’un oncle. Au milieu de ces idées nouvelles, le désir des affections domestiques ramenait de temps en temps ma pensée vers une compagne qui animerait la solitude de ma demeure, et alors je retrouvais devant mes yeux l’image de ma jeune amie de la veille. Enfin, comme les plus heureux effets ont souvent de risibles causes, ce qui m’enchantait le plus dans ma situation nouvelle, c’était de n’aller point ce soir au thé de madame de Luze.

Je passais de là à des réflexions très-philosophiques, selon l’habitude que nous avons de formuler en maximes générales toutes les leçons de notre expérience privée. Ah ! qui que vous soyez, qui faites dépendre votre sort d’un héritage, je vous plains ! Si votre homme ne meurt au plus vite, vous risquez de perdre vos plus belles années dans une ingrate et ennuyeuse attente ; et si, impatient de jouir, vous désirez sa mort, au moment même où vous lui prodiguez vos caresses, vous êtes un monstre. Et puis, qu’est-ce ? refouler derrière votre masque tous vos sentiments naturels, faire le sacrifice de vos penchants, de vos opinions, souvent de votre droiture… Non, non, point d’héritage ! plutôt travailler, plutôt souffrir, mais vivre libre, indépendant, maître de sa personne et de son cœur ; le donner à celle qu’il aime, plutôt qu’à celle qu’on lui impose,… à une fille pure, simple, retirée, qui vous rendra en tendresse et en dévouement le sacrifice que vous lui faites d’une position flatteuse, tout aussi bien qu’à une demoiselle qui, vous devant peu, exigera beaucoup, qui cherche un rang plutôt qu’un époux, des conve-