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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/279

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nances plutôt que des affections, et dont vous aurez sans cesse à disputer le cœur aux vanités, aux dissipations et aux dangers du grand monde… Aimable amie, ajoutais-je, transporté par l’exaltation de mes pensées, modeste fille, toi que j’ai vue si douce et si craintive, si belle de pureté et de grâce ; toi que j’ai tenue dans mes bras avec des transports si vifs, mais si respectueux et si tendres, pourquoi redouterais-je de chercher auprès de toi ce bonheur dont seule tu m’as fait goûter les prémices et deviner les attraits ?

C’est ainsi que, provoqué par l’outrage, l’amour renaissait dans mon cœur, s’y confondant avec la pure flamme du désintéressement, avec l’énergie des sentiments vrais et honnêtes. À ce vif essor succédait peu à peu quelque curiosité à l’égard de la personne qui en était l’objet, comme pour m’assurer qu’au besoin ses manières et son éducation ne se trouveraient pas trop en désaccord avec le vœu que je pourrais former d’obtenir sa main. C’est alors que diverses choses, que je n’avais point remarquées d’abord, se présentèrent à ma mémoire, et que je m’occupai d’en tirer des inductions. Je revenais souvent à la blancheur de ses mains, dont aucun travail manuel ne paraissait avoir altéré la délicatesse ; je me rappelais avec plaisir que la fatigue de la chaîne, trop forte pour ses débiles bras, l’avait fait succomber sous le poids du malaise, comme si, accoutumée à une vie douce et tranquille, elle n’eût pu soutenir la rudesse d’un travail pénible et grossier. Bien que très-inhabile à juger des détails d’un habillement de femme, le sien m’avait pourtant paru d’une élégance simple et gracieuse ; et j’attachais un prix inestimable au souvenir qui me restait de ses jolis pieds, chaussés, avec quelque recherche, de petits