Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/314

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nature nous émeut, ce silence des montagnes nous parle ; notre cœur s’élève, s’épure, il semble reprendre sa primitive innocence, et bientôt, ne concevant plus le mal, les vices, les abjectes passions, il va prêtant à toutes choses ce charme qui l’enivre.

Je l’éprouvais, ce charme, dans toute sa pureté, et davantage à mesure que je m’élevais. Cependant, vers onze heures, quelques nuages planaient au-dessus des gorges profondes ; le mont Blanc avait cet aspect mat qui laisse les arêtes du roc se dessiner toutes noires sur une blancheur terne, et du côté du sud le vent soufflait par froides bouffées. Je songeai aux prédictions du guide, mais seulement pour rire du bon milord qui, afin de ne pas donner dans un piège imaginaire, s’en était tendu un très-réel à lui-même. De temps en temps, quand le taillis était moins épais et la pente plus escarpée, je voyais les deux mulets au-dessus de ma tête. Milord et sa fille cheminaient sans mot dire, lorsque le guide, qui conduisait à la main le mulet de la jeune miss, s’étant arrêté pour lui montrer quelque chose, il s’ensuivit une sorte d’altercation.

Il faut savoir que les guides, en cet endroit, montrent au voyageur une tache de couleur ferrugineuse, qui se voit à une grande hauteur contre la paroi des Fiz. Ils appellent cette tache l’Homme des Fiz, parce qu’ils prétendent qu’elle a la forme et l’aspect d’une culotte jaune, tandis que, tout autour, d’autres apparences complètent, selon eux, la figure du géant. C’est cette curiosité que le guide indiquait du doigt à la jeune miss : mais, pour lui montrer l’homme, il lui désignait la culotte. L’on sait tout ce que ce mot a d’inconvenant pour des oreilles anglaises ; aussi une expression de haute pruderie se peignit-elle sur le visage de la jeune personne,