Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/318

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votre courage, de votre force ; vous êtes Félisaz, le plus habile chasseur de la vallée : nous nous confions à vous ; Me tournant ensuite vers milord : N’ayez pas de crainte, monsieur. Je suis aussi fort habitué aux montagnes. Entre ce brave homme et moi, nous soutiendrons mademoiselle, vînt-elle à fléchir sous l’excès de la fatigue. — Oblidgé, me répondit-il tout distrait par une vive émotion.

Moins troublé que l’Anglais, je n’étais pas moins inquiet. Les récits du pâtre, que j’avais à peine écoutés la veille, se présentaient à mon imagination, et me faisaient juger notre situation très-périlleuse. Cet homme m’avait raconté dans tous leurs détails les circonstances qui avaient accompagné la mort du jeune Anglais, celle de la femme de Pierre ; il me semblait les voir se reproduire toutes avec une effrayante vérité ! La malheureuse, arrivée près du sommet avec sa compagne, avait manqué de force pour s’enfuir, et, au bout de quelque temps, elle avait péri enveloppée dans la tourmente : c’est un vent qui, s’engouffrant dans les anfractuosités de ces gorges étroites, y tourbillonne avec violence, en déplaçant d’énormes masses de neige qui recouvrent comme d’un linceul tous les objets sur lesquels il promène ses fureurs. Or c’était un tourbillon de cette sorte qui, s’élevant derrière nous, comme du fond de la vallée, semblait devoir nous atteindre avant peu d’instants. Dès que le guide l’avait aperçu, et bien avant que nous pussions nous douter du danger, il ne l’avait plus quitté des yeux, mesurant avec sagacité sa distance, pressentant sa direction, et jugeant avec un coup d’œil aussi sûr que prompt qu’il fallait, pour ne pas périr, escalader au plus vite la pente qu’il venait de nous montrer.