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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/319

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Nous nous y engageâmes. À peine libres, les mulets s’étaient enfuis avec vitesse, la tête haute et les naseaux au vent. Guidés par leur instinct, ils avaient quitté le sentier par lequel nous étions venus ; et, se jetant sur la gauche pour s’éloigner de la trombe, ils s’enfonçaient dans une gorge obscure où bientôt nous les perdîmes de vue. Avançons ! arrivons ! criait sans cesse le guide. Mais la pente était si roide, que, sans la neige qui se tassait sous les pieds, il eût été impossible au plus habile chasseur de s’y tenir debout. Malgré cette circonstance favorable, nous avancions à peine, troublés plutôt que soutenus par les pressantes injonctions du guide. La jeune miss, comprimant sa frayeur pour ne pas ajouter à l’effroi qui semblait enchaîner son père, faisait des efforts inouïs pour s’élever ; mais ses forces s’y consumaient ; et déjà, après avoir, par une réserve naturelle, manifesté quelque embarras en acceptant l’appui de ma main, elle en était à se suspendre à mon bras, à me laisser le plus souvent le soin de la soutenir, de la porter presque. Épuisé moi-même et me croyant à chaque instant arrivé au dernier terme de mes forces, le danger extrême que courait cette jeune demoiselle ranimait mon courage, et je tentais encore un effort. Enfin elle atteignit au haut de la pente. Nous l’y laissâmes, car son père réclamait tous nos secours.

Une circonstance singulière avait ajouté à la détresse de ce pauvre monsieur. Pendant qu’il cherchait à diminuer la roideur de la pente en faisant des contours en zigzag, ses pas l’avaient conduit sur un bloc de roche caché sous la neige, et posé, comme il arrive quelquefois, en équilibre. Le poids du corps avait fait un peu basculer cette masse énorme ; et la frayeur de mi-