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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/324

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tre il ramenait sur son corps refroidi tout ce qui nous restait de vêtements secs.

Pendant ce temps, Félisaz avait choisi parmi les tavillons[1] intérieurs de la toiture le petit nombre de ceux que n’avaient pas encore atteints les dégels du printemps ; et, les ayant mis en tas sur quelques brins de paille recueillis un à un entre les poutres, sous les solives du chalet, il sortit son briquet de sa poche et se prit à dire en regardant milord : — Craignez rien. C’est pas pour ma pipe, c’te fois ! À ce mot, qui, à l’insu du pauvre chasseur, renfermait un bien cruel reproche, un trait de vif regret, pénétrant jusqu’au cœur de l’Anglais, fit refluer la rougeur sur ses joues. Sa bouche resta muette, mais son regard exprimait la honte, toujours touchante chez un homme d’âge, et je pus y lire qu’il ne se pardonnait pas d’avoir été dur envers cet homme à qui il se voyait maintenant redevable des jours de sa fille.

Déjà la flamme pétillait au foyer ; nous nous approchâmes. À cette douce chaleur, la jeune miss semblait revenir à la vie, les couleurs reparaissaient sur son beau visage ; peu à peu ses membres déroidis lui permettaient de plus faciles mouvements, et ses premières paroles, toutes remplies de reconnaissance pour nos soins, lui donnaient un air de grâce charmante, quand déjà sa beauté brillait d’un éclat inattendu, au milieu de cette noire demeure, et à la claire flamme du bienfaisant foyer. Pour milord, assuré désormais que sa fille lui était rendue, il passait en ce moment de l’angoisse la plus vive à l’émotion de la plus puissante joie, et les larmes ruisselaient sur son visage avant qu’il eût en-

  1. Planchettes de bois de sapin dont les chalets sont ordinairement couverts.