Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/347

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Crois-moi, mon garçon, prends moins de tabac, et achète-le au bureau. Pour Antoine, il a cru bien faire, et, ce qui vaut mieux, il a bien fait. C’est la règle qui l’enchaîne, lui, et non pas ses appétits. » Le bon curé, en achevant ces mots, frappa familièrement sur l’épaule d’Antoine, qui, glorieux de cette approbation donnée par-devant tout le village à sa conduite prudente et désintéressée, se rengorgea naïvement, tenant sa chopine d’une main et son chapeau à cornes de l’autre.

Pendant ces discours, la mule était arrivée. On m’aida à me hisser dessus, et je pus enfin prendre congé de mon mélèze. Nous descendîmes. Le syndic tenait la bride, le bon curé causait à mes côtés, puis venaient les paroissiens ; et cette pittoresque procession marchait à la lueur d’un clair crépuscule, tantôt éparse sur les mousses de la forêt, tantôt agglomérée dans le fond d’un ravin, ou descendant à la file les contours sinueux d’un étroit sentier. Au bout d’une demi-heure, nous atteignîmes des pâturages ouverts, d’où l’on découvrait l’autre revers de la vallée de l’Arve, déjà enseveli dans une nuit profonde, et, à peu de distance de nous, quelque culture, des hêtres, et la flèche penchée d’un clocher délabré. C’était le village. Quand nous y entrâmes : « Bonsoir à tous ! dit le curé à son monde. Pour vous, monsieur, je vous offre un lit et à souper. C’est jour maigre, mais j’ai vu là-haut que vous n’êtes pas catholique ; ainsi nous vous restaurerons de notre mieux. Marthe ! cria-t-il en approchant de la cure, apprête au plus vite un poulet, et donne-moi la clef de la cave. »

Je soupai en tête-à-tête avec cet excellent homme, qui fit maigre pendant que je dévorais le poulet. Après