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mots, pâtres, syndic et marguillier, firent cercle autour de nous. Le soleil venait de se coucher.

Je contai mon histoire dans toute sa vérité. Les circonstances atroces qui avaient accompagné la mort de Jean-Jean pénétrèrent d’effroi ces bonnes gens ; et lorsque j’eus répété le blasphème qui avait provoqué le rire des contrebandiers : Jean-Jean, fais ta prière ! tous, curé et paroissiens, se signèrent d’un commun mouvement, au milieu d’un respectueux silence. Ému à cette vue, et vivement pressé de m’associer à ce naïf essor d’un sentiment si naturel, je portai instinctivement la main à mon chapeau, et je me découvris… Les paroissiens parurent surpris, le curé demeura grave et immobile, et moi… je me trouvai déconcerté. — Continuez, continuez, me dit le bon vieillard. J’achevai l’histoire, sans oublier la prudence excessive du naturel, ni le louable désintéressement du syndic.

Quand j’eus achevé ce récit : — « C’est bien, dit le vieux curé. Puis, s’adressant à ses paroissiens : Vous autres, écoutez-moi. Vous tremblez devant ces scélérats, et voilà pourquoi ils osent tout ; car ce sont les poltrons qui font les braves. Et ce qui est bien pis, c’est que quelques-uns profitent de leur abominable négoce. Vois-tu bien, à présent, André, où t’a conduit ton désordre de tabac, et cette brutale façon d’en consommer par-dessus tes moyens ? Ton nez est gorgé, et tu n’as pas de bas ; passe encore de n’avoir pas de bas : mais ce tabac, tu l’achètes des fraudeurs ; et puis voilà que, pour ne pas te brouiller avec eux, tu n’oses délivrer un homme en peine, comme doit faire un chrétien ! Mais sais-tu, André, que ces brigands-là seront grillés en enfer, et tirés à quatre diables… et que je ne réponds de rien pour ceux qui les ménagent ?