Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/356

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trée, comment se sont ouverts ou creusés ces abîmes, comment ces cimes se sont élancées dans les cieux ; pourquoi ces pentes douces et pourquoi ces rocs tourmentés ; d’où viennent ces colosses de granit qui pèsent sur la plaine, ou ces dépouilles marines enfouies aux montagnes ? Ces questions sont de la géologie pure, à la fois élémentaire et transcendante : les géologues ne s’en adressent pas d’autres ; bien plus, sur la façon de les résoudre, ils ne sont jamais d’accord : c’est l’eau, c’est le feu, c’est l’érosion, c’est la soufflure. Partout des systèmes, et nulle part des vérités ; beaucoup d’ouvriers, point d’experts ; des prêtres, et point de dieu ; en telle sorte que chacun peut approcher son hypothèse de la flamme de l’autel, et dire en la voyant flamber : Fumée pour fumée, la mienne, monsieur, vaut la vôtre.

Et c’est précisément par là que j’aime cette science. Elle est infinie, vague, comme toute poésie. Comme toute poésie, elle sonde des mystères, elle s’y abreuve, elle y flotte sans y périr. Elle ne lève pas les voiles, mais elle les agite, et, par de fortuites trouées, quelques rayons se font jour qui éblouissent le regard. Au lieu d’appeler à son aide les laborieux secours de l’entendement, elle prend l’imagination pour compagne, et elle l’entraîne dans les profondeurs ténébreuses de la terre, ou bien, rebroussant avec elle jusqu’aux premiers jours du monde, elle la promène sur de jeunes et verdoyants continents, tout fraîchement éclos du chaos, tout brillants de leur primitive parure, et que foulent ces races perdues, mais dont les gigantesques débris nous révèlent aujourd’hui l’existence. Si elle n’arrive pas à un terme, en y tendant elle parcourt une route attrayante ; si elle divague ou déraisonne sur les causes secondes,