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azurée, des flots noirs et tourbillonnants, qui fuient bientôt d’un cours plus doux au travers de la prairie. À l’autre extrémité, une montagne fendue perpendiculairement jusqu’à la base donne passage à ce torrent, qui se perd dans de ténébreux abîmes, inconnus au regard de l’homme, pour aller ressortir près de Martigny en Valais, et s’y jeter dans le Rhône. La situation de cette vallée, cette ombre perpétuelle, ce glacier, ces eaux, y entretiennent une ravissante fraîcheur ; et les pelouses qui en tapissent le fond, lorsque du haut de la montagne on les voit pour la première fois, resplendissent de l’éclat d’une verdure incomparable. Il semble qu’on découvre un Éden inaperçu encore, une retraite où vivent cachés depuis des siècles les primitifs habitants de la contrée. L’on descend, l’on entre dans cette ombre limpide, l’on savoure cet air récréateur, l’on écoute cette voix sonore et continue des eaux qui arrivent et qui fuient ; une neuve splendeur émerveille les yeux, et remue doucement le cœur.

C’est dans ce vallon qu’aboutissent les deux passages de la Tête-Noire et du Col de Balme. Les deux sentiers s’y réunissent au pied de la Forclaz, qu’il faut encore gravir et redescendre pour arriver à Martigny. On n’y trouve, en fait de gîte, que le cabaret où je venais d’entrer. C’est, au rez-de-chaussée, l’étable, le fenil, et au-dessus la chambre des buveurs : on y monte par quelques échelons de sapin, aboutissant à la galerie d’où le Français m’avait appelé. Comme il arrive de loin en loin qu’un voyageur, surpris par la nuit et par l’orage, est contraint de s’arrêter à Trient, les gens du cabaret entretiennent dans cette même chambre deux petits lits. Au moment où j’entrai, les deux Anglais, renonçant à pousser jusqu’à Martigny par un temps si affreux,