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de notre petite colonie, provoquèrent chez nous tous ce sentiment de gratitude qui est si merveilleux pour changer les situations les plus ingrates en moments pleins d’agrément. Mais, à la vue d’un petit ustensile d’argent, formé de trois ou quatre pièces artistement ajustées, et rempli d’un liquide en ébullition, je ne pus m’empêcher de rire. J’y reconnus une cafetière mécanique à deux ou trois fins, dont mon compagnon nous avait démontré les propriétés à Valorsine, et dans laquelle il venait de verser quelques gouttes d’essence de café achetée à Paris sur une poignée de neige ramassée au Col de Balme.

En cet instant, nous l’aperçûmes lui-même qui remontait le mamelon sur lequel nous étions, en tirant après lui une mère vache qui le suivait sans trop de peine… « Bravo ! s’écria-t-il en nous voyant tous réunis, j’en amène pour tout le monde ; mais du café seulement pour ces dames. Je vous salue, mademoiselle. Veuillez, messieurs, déposer sur les baguettes ce châle, ces manteaux. Je me charge du reste. » Aussitôt, après avoir ouvert et déposé auprès de ces dames un petit sucrier de poche, il se mit à traire la vache dans deux de ces tasses en bois de coco qui servent à boire aux sources ; puis, y ayant versé le café, il présenta le breuvage d’un air à la fois empressé et glorieux qui était à mourir de rire. Je riais donc, mais cette fois de gaieté, de contentement, et sans mélange aucun de malice, comme j’avais pu faire à Valorsine. En effet, je venais de comprendre seulement alors une chose bien simple pourtant, c’est qu’en voyage, comme ailleurs, il n’est de vilain accoutrement que celui qui, ne convenant qu’à son maître, est sans emploi pour autrui.

Au sortir de l’angoisse, les cœurs s’ouvrent aisément