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tous ceux qui ont passé dans les montagnes une journée de fatigues et de privations savent ce que vaut un médiocre potage, et avec quelle facile complaisance on trouve exquis les plus simples aliments. Mais, quand vint le tour du sambayon, les acclamations redoublèrent. Le Français, plus joyeux que nous tous, y répondait par des saillies de pétillante gaieté, en telle sorte que le tumulte, commencé par des propos de félicitations, se prolongeait par des éclats de rire. L’arrivée du négus suspendit ce tumulte. Dès qu’il fut servi, tout le monde à la fois, et le Français aussi, réclama la faveur de porter un toast ; mais M. Desalle s’adjugeant la parole à raison de son âge : « Je porte, dit-il, la santé de notre amphitryon ! Qu’il m’excuse si je le désigne ainsi, en attendant que je sache un nom qui nous demeurera cher à tous, et à ma famille en particulier. Monsieur a fait, d’une journée de fatigues et d’alarmes, une journée de plaisirs et de délassements ; je lui en exprime notre affectueuse et vive gratitude. » Nous nous levâmes tous pour choquer nos verres contre celui du Français, qui répliqua incontinent : « La modestie m’empêche de me nommer, mais voici mon nom écrit au fond de mon chapeau. Qu’il me soit permis de dire à mon tour que, depuis que je voyage, je n’ai pas pris encore autant de plaisir qu’aujourd’hui, et d’en conclure que je ne m’étais pas trouvé encore en si aimable compagnie. Je bois à la vôtre, mesdames et messieurs ! »

Bientôt après, nous prîmes congé des dames, et nous gagnâmes notre couche rustique, où, grâce aux fatigues de la journée, nous ne fîmes qu’un somme jusqu’à l’aurore.


FIN DE LA VALLÉE DE TRIENT.