LA TRAVERSÉE.
J’ai connu autrefois un enfant qui annonçait les plus brillantes qualités militaires ; malheureusement il était bossu. Enfant aussi dans ce temps-là, je l’accompagnais aux revues, aux parades, à l’exercice, partout où le tambour battait, où des uniformes défilaient ; non pas que ces spectacles eussent pour moi un attrait bien vif, mais parce qu’attaché à mon camarade, j’aimais à perdre mon temps dans sa compagnie.
Ce bossu s’animait donc au son des fifres et des tambours ; et, quand à cette musique de bruit succédait la musique plus expressive des instruments à vent, je ne sais quelle véhémente impression, venant à remuer son âme, répandait sur ses traits comme un rayon de belliqueuse fierté, de martiale ardeur. Si ensuite les feux de file, le tonnerre de l’artillerie retentissaient dans la plaine ; si les régiments, marchant les uns contre les autres, simulaient l’attaque, la victoire, la retraite, et tout le spectacle de la guerre, l’enfant alors, passionné par cette vue, s’élançait dans les tourbillons de fumée : il se mêlait aux tirailleurs, il accompagnait les pièces, il courait sur l’aile des escadrons, s’exposant