Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/380

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à chaque instant à être écrasé sous les pas des colonnes, ou maltraité par les soldats dont il gênait les mouvements. La revue finie, il marchait en cadence à côté de la tête du bataillon les yeux fixés sur le commandant, et simulant, par quelque geste, qu’il obéissait à tous les ordres, qu’il exécutait mentalement toutes les évolutions. Ces manières le faisaient remarquer de la foule, et les gens riaient à le voir ; mais lui, sous l’empire d’un sentiment sérieux, continuait de marcher en cadence, insensible à la moquerie et tout ivre d’émotions de gloire, de patrie et de batailles.

« Je veux, me disait-il, lorsque, errant le soir aux environs de la ville, nous nous promenions solitairement, je veux, dès que j’aurai l’âge, m’engager. As-tu vu le commandant quand il galopait au travers de la plaine ?… Commander un escadron ! fondre comme l’éclair sur les lignes hérissées de fer ! gagner la gloire, non pas en attendant la mort, mais en volant la chercher ou la donner ! rompre, disperser, poursuivre !… Mon arme, Louis, c’est la cavalerie ! »

Un peu remué par tant d’enthousiasme, je me surprenais à rompre aussi en imagination, à disperser, à poursuivre… Pour lui, reprenant : « Et ce n’est rien encore ! Les voilà qui fuient, laissant sur la place leurs blessés, leurs morts… Alors je rallie mes dragons tout couverts de poussière, d’écume, de sang, et nous reprenons le chemin de la ville sauvée… On voit de loin la foule qui inonde les remparts, qui couvre les toits des maisons… On approche, on défile… Le chef blessé caracole à la tête de ses braves… Tous les regards lui lancent des couronnes, tous les cœurs volent à sa rencontre !… Mon arme, Louis, c’est la cavalerie ! »

Je me plaisais à ces discours, animés qu’ils étaient