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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/387

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du commerce, et ce jeune homme, enseveli désormais dans l’antre d’un bureau, y appliquait cette intelligence et ces talents dont il avait rêvé de faire à ses semblables un hommage désintéressé, à apprendre comment l’on gagne de l’or et l’on grossit sa fortune.

Ce n’était là, toutefois, que les prémices de maux plus réels. Henri approchait de cet âge où naît dans le cœur une ambition plus légitime, et tout autrement impérieuse que celle de se distinguer ou d’obtenir de la gloire. Aimer, être aimé, connaître les joies d’un amour partagé et le bonheur d’une union intime et tendre, c’est le vœu de la nature et l’irrésistible penchant de tout mortel. Ce penchant, nul ne le trompe sans se dépraver ! nul n’entreprend de le refouler, de le vaincre, sans se vouer à un long supplice dont l’âge amortit la souffrance, mais dont la mort seule est le terme. Telle est pourtant la destinée qui menace tout être difforme, celui justement en qui de longues et secrètes amertumes ont aiguisé le besoin d’affections, et qu’un veuvage forcé livre en proie aux tortures d’un isolement éternel et détesté.

Aussi est-ce par là que l’infortuné est surtout à plaindre, que sa vue jette dans le cœur un trait de douloureuse pitié. Un jour, un étranger visitait une manufacture. On lui fit remarquer, parmi d’autres travailleurs, un ancien soldat devenu artisan. Le visage de cet homme était défiguré d’une façon hideuse par d’horribles cicatrices. À cette vue, l’étranger fut péniblement ému. « Est-il marié ? » demanda-t-il. Sur la réponse affirmative, son émotion parut se calmer subitement, et il passa outre en disant : « En ce cas, réservons notre compassion pour d’autres. » J’étais présent : le mot est resté longtemps gravé dans ma mémoire comme