Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/390

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me vouloir et m’aimer ! » Je l’encourageais dans ces vœux modestes, et, profitant de son abattement même pour combattre la naissante passion qui l’entraînait vers un choix impossible, je lui faisais considérer, avec un espoir que je partageais moi-même, qu’en bornant ainsi ses prétentions, et en renonçant à des avantages de figure séduisants, mais passagers, il ne pouvait manquer d’être heureux un jour.

Ces mortifiantes consolations l’affligeaient ; toutefois il avait trop de sens pour n’en pas tenir compte, et ses manières étaient telles, que du moins le ridicule ne s’attaquait pas à des sentiments dont rien au dehors ne révélait l’existence.

Mais, ici encore, si Henri échappait aux traits d’un monde dur et moqueur, le découragement et la tristesse l’atteignaient non moins sûrement par une autre voie, et lui enlevaient jusqu’aux biens mêmes qui lui semblaient acquis. Il n’avait pas tardé à se distinguer dans sa nouvelle carrière : déjà la considération publique l’y entourait ; devant lui s’ouvrait un avenir de brillante fortune, et il lui appartenait plus qu’à tout autre d’ennoblir sa profession par l’élévation du caractère et par l’éclat des services rendus. Mais, à mesure qu’il découvrait mieux l’impossibilité de faire hommage de ces biens à une compagne de son choix, leur valeur décroissait à ses yeux, et insensiblement toute flamme d’ambition s’éteignait dans son cœur. Il s’arrêta bientôt dans cette route qu’il avait jusqu’alors parcourue avec distinction ; il réduisit sa situation commerciale à ne lui être plus qu’un simple métier pour vivre : puis, laissant se rompre la plupart de ses relations, il s’exila des salons qu’il avait fréquentés, et finit par se concentrer dans une vie taciturne et solitaire.