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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/398

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que nous n’y trouverions plus le maître. La même maladie à laquelle avait succombé son frère l’avait emporté deux mois auparavant. Il avait légué ses biens à l’époux de Jenny, mais la mort de celui-ci les faisait passer à un autre frère resté en Europe, et cette jeune dame se trouvait ainsi dénuée de toute ressource.

« À ces nouvelles, le découragement s’empara de Jenny ; elle se vit comme abandonnée du ciel et des hommes, au milieu de cette lointaine contrée, et, cédant à un transport de désespoir, elle se jeta dans mes bras et m’inonda de ses larmes. À ce mouvement d’une jeune femme qui semblait implorer ma protection, et se livrer à moi comme au seul ami qui lui restât sur la terre, j’éprouvai la plus forte impression que j’eusse jamais ressentie… Le bonheur, le trouble m’ôtèrent la voix ; je respirais à peine ; un rayon d’espoir qui venait de se faire jour dans mon cœur y jetait, au milieu du tumulte des sentiments, le délire de la puissante joie. Ce moment, Louis, changea mon être : une infranchissable barrière était tombée ; j’étais comme délié de ces chaînes de crainte et de honte qui, depuis tant d’années, pesaient lourdement sur mon cœur. Aussitôt que nous fûmes plus calmes l’un et l’autre, j’osai faire à Jenny le libre aveu de mes sentiments, et lui proposer d’unir nos destinées dès que nous serions rendus à une situation plus fixe et moins précaire. Elle m’écouta avec émotion, mais sans surprise, et, convaincue que c’était bien plus une affection sincère qu’un sentiment de pitié pour son dénûment qui me suggérait ma démarche, elle me dit avec simplicité : « Je serai votre femme, monsieur Henri. Puissiez-vous rencontrer en moi une compagne digne de vous ! C’est le vœu de mon cœur que je vous livre avec joie. »