Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/402

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victimes, ils ne s’enorgueillissent point de leur douceur, ils ne se targuent pas de leur charité !

« Mais éloignons de notre pensée cet attristant sujet ; de plus attrayants ne me manqueraient pas, s’il ne fallait clore enfin cette longue lettre. Combien, mon cher Louis, le commerce d’un ami tel que vous me serait précieux, dans cette terre surtout, si féconde en spectacles intéressants, où la race humaine, venue d’hier, se fonde une destinée nouvelle ; où la société se crée sous vos yeux ; où tant de questions, controversées depuis des siècles parmi vos penseurs, arrivent journellement à subir, sur un sol vierge et chez une nation sans précédents, l’épreuve de la pratique et de l’expérimentation ; où au bout de chaque idée naît un fait qui la rend sensible aux yeux, qui la pose devant la pensée, et lui fournit le sujet d’une investigation animée, vivante, pleine d’attraits pour un esprit curieux ! Et si, renouant nos habitudes d’autrefois, nous quittions les villes pour errer dans les campagnes, que ne présenteraient pas d’aimable, de ravissant, nos courses dans ces environs, où la nature règne en souveraine depuis la création ; dans ces solitudes sombres, verdoyantes, silencieuses, remplies de grandeur et de mystère, où les yeux se promènent de merveilles en merveilles, où la pensée s’agrandit et s’épure, où l’homme faible et périssable, se trouvant face à face avec les œuvres de l’éternelle puissance, éprouve comme un frisson de religieuse terreur, et se réfugie, s’abrite avec amour et tremblement sous l’aile de l’éternelle bonté ! Ah ! mon ami, si ces émotions me pénètrent quand j’erre solitairement dans ce désert, que serait-ce si nous les partagions ensemble ! Pour ces gens qui m’entourent, ils ne ressentent rien de semblable ; ils sont aventureux