LE GRAND SAINT-BERNARD.
Nous étions à l’hospice du grand Saint-Bernard, les pieds contre le feu, en compagnie du prieur. Celui-ci, après maints récits provoqués par nos questions, se prit à dire : « Du reste, messieurs, notre mont Saint Bernard est plutôt célèbre qu’il n’est bien connu… — Et je vais vous dire pourquoi, mon père, interrompit un gros monsieur qui, assis à la droite du foyer, n’avait point encore pris part à la conversation : il est mal connu parce qu’il a été souvent décrit. Il en est de votre mont célèbre comme de tant d’auteurs du jour, célèbres aussi, et que nous, public, nous connaissons par les feuilletons, par les biographies, par les estampes. Les feuilletons plaisantent, les biographies mentent, les portraits flattent : le tout est faux comme, une épitaphe ! »
Ce monsieur se tut ; mais moi, qui suis public aussi, moi qui ai mes idées et mes convictions de public, je me sentis froissé par la leste brusquerie de son propos : « Permettez, lui dis-je, les épitaphes… — Il ne me laissa pas achever : — Les épitaphes ! Voudriez-vous par hasard prendre la défense des épitaphes ? alors je vous enverrais promener… (je tressaillis, et mon regard, j’en suis sûr, étincela) pendant une heure seule-