Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/406

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ment au cimetière du Père-Lachaise. Vous ne nierez pas, monsieur, qu’il n’y ait bien quelques diables sous cette terre. Eh bien ! les épitaphes n’y signalent que des anges.

— Possible, lui dis-je. Au surplus, l’on conçoit que les survivants, dans l’excès de leur douleur… — Il m’interrompit encore : — Vous êtes jeune, monsieur, vous êtes fort jeune. Il vous reste à apprendre que ce n’est jamais la douleur, mais bien le faste, la vanité ou la joie qui dictent et qui payent ces mensonges. — Je me récriai : La vanité, encore ; mais la joie, monsieur, la joie au cimetière, sur une tombe ! — La joie, monsieur, l’allégresse, si vous aimez mieux, cette allégresse sourde, puissante, où jette la venue d’un copieux héritage… Par un sentiment d’ailleurs naturel, mais qui n’a rien de commun avec la douleur, on veut reconnaître de quelque façon le bien qui nous est fait, et l’épitaphe se présente. C’est la plus commode d’entre toutes les façons, la moins coûteuse, et, à ces causes, la plus anciennement pratiquée. Grave, grave, mon sculpteur ; grave à fond, grave toujours ; mets-en, des vertus, mets-en encore, acquitte le tribut de… de quoi ? messieurs, s’il vous plaît, si ce n’est de notre gratitude profonde envers le défunt, de notre parfaite et entière satisfaction, de notre allégresse, d’autant plus vive, d’autant plus chaude au dedans, qu’il lui est pour l’heure interdit de s’épandre…

— Il y a des monstres, repris-je indigné, qui sont faits ainsi, mais… — Retirez ce mot, jeune homme, et réservez-le pour de plus odieuses choses. Ce qui est misère, misère inhérente à l’humanité, ne saurait sans injustice être dit monstrueux. Je vous parle là des faits communs, je vous parle d’égoïsme plutôt laid que per-