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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/414

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je vous souhaite le bonsoir. » Là-dessus, le gros monsieur prit une lumière et se retira. Bientôt après, nous en fîmes autant.

Les chambres réservées aux voyageurs à l’hospice du grand Saint-Bernard sont de petites cellules séparées les unes des autres par une cloison en bois. Lorsque j’eus éteint ma lumière, j’aperçus une clarté qui se projetait sur mon lit au travers des fentes de cette cloison. Il est rare, en pareille conjoncture, qu’une curiosité très-indiscrète, mais très-vive aussi, ne vous porte pas à approcher votre œil de celle des fentes qui vous paraît la plus large. C’est ce que je ne manquai pas de faire, en prenant les plus sages précautions pour qu’aucun bruit ne trahît mon indiscrétion. Alors je vis, à ma grande surprise et peut-être avec quelque désappointement, notre touriste assis sur son lit, le buste et la tête chaudement enveloppés, et qui, tenant la plume, paraissait absorbé dans un travail de composition. À côté de son lit, une théière fumante et un flacon d’eau de cerises. De temps en temps, il cessait d’écrire pour relire et corriger, et toutes les nuances de satisfaction, depuis le simple sourire de contentement jusqu’au sérieux le plus admiratif, venaient se peindre sur son visage. Un moment il ne put résister au désir d’écouter le flatteur murmure de sa période, et, dans le morceau qu’il se lut à lui-même, je distinguais seulement qu’il s’agissait de molosses, de violettes, et d’une jeune personne nommée Emma. Je conclus que notre touriste était un auteur, peut-être même un voyageur de l’école d’Alexandre Dumas, qui était occupé pour le moment à rédiger les impressions, les souvenirs et les catastrophes de sa journée. Sur ce, je le laissai à son travail, et je m’endormis.