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Le lendemain, à déjeuner, j’appris que le touriste était parti depuis une heure ; de son côté, le gros monsieur s’apprêtait à gagner Martigny ; je m’associai donc, pour descendre à la Cité d’Aoste, aux trois personnes avec qui j’avais fait connaissance la veille d’une façon si gaie. Ces trois personnes, dans l’une desquelles le touriste avait deviné du premier coup d’œil un Suisse flegmatique, ne laissaient pas que d’être de Chambéry. Elles se rendaient à Ivrée pour y célébrer les noces de la jeune fille, promise dès longtemps par son père, aubergiste à Chambéry, au fils d’un Piémontais aubergiste à Ivrée. Par la même occasion, le bonhomme comptait s’approvisionner en vins et en riz, puis, après avoir terminé ses affaires, rentrer en Savoie par le petit Saint-Bernard. Chemin faisant, il m’expliquait toutes ces choses avec cette gaie et affectueuse bonhomie qui est naturelle aux Savoyards, et comme je paraissais y prendre intérêt, chemin faisant aussi, il me priait à la noce, et sa fille, avec une aimable ingénuité, m’encourageait à leur faire l’honneur d’y assister. Sans refuser précisément, je n’étais pas non plus décidé à accepter, car voici ce qui se passait au dedans de moi.

La veille déjà, l’air de cette jeune personne m’avait vivement intéressé ; mais aujourd’hui je commençais à en devenir amoureux. C’est aller vite en besogne. Mais, outre qu’en voyage le cœur, plus aventureux et plus libre, est plus prompt à s’enflammer, en tout temps il est peu à l’épreuve de certains traits d’un charme inaccoutumé, et d’une grâce pour lui nouvelle. Élevée auprès des religieuses du Sacré-Cœur, cette jeune fille était sortie du couvent depuis quelques semaines seulement, en sorte que, novice, sans expérience et à peine rendue au monde, elle était charmante