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bougeait point. Peu à peu je me pressais contre mon aïeul, et je serrais sa main avec plus de force, car l’immobilité du pêcheur commençait à me paraître étrange. Ses yeux fixés sur le bout du fil, ce fil qui plongeait mystérieusement sous l’eau, le silence de cette scène, toutes ces choses agissaient sur ma frêle imagination, déjà ébranlée par la vue de l’inscription en lettres noires. À la fin, par une illusion bien ordinaire, mais nouvelle pour moi, le pêcheur me parut descendre la rivière, et le bord opposé se mouvoir en remontant le courant. Alors je tirai mon grand-père par la main, et nous poursuivîmes notre promenade.

Nous longeâmes la rive sous les saules qui ombragent le sentier. Ils sont vermoulus, percés de pourriture ; une mousse vive rajeunit leur base, tandis que de leur tête décrépite s’échappent de flexibles branches qui s’abaissent sur le fleuve. Nous avions à notre droite le Rhône, à gauche les jardins dont j’ai parlé. La roue qui élève l’eau dans de petites auges, d’où elle retombe dans une rigole, m’intéressa beaucoup ; néanmoins, dans la disposition où j’étais, j’aimais mieux n’être pas seul à contempler l’immense machine tournante ; d’ailleurs le pêcheur était toujours là-bas, immobile. Enfin nous le perdîmes de vue, et nous arrivâmes à la grève qui termine la langue de terre. Mon grand-père me fit remarquer dans le gravier une foule de pierres plates et rondes, et m’apprit à les faire voler sur la surface de l’eau, en sorte que j’avais complètement oublié le portail, le pêcheur et la roue.

Il y avait sur le rivage une petite anse remplie d’une eau claire et peu profonde. Mon grand-père m’invita à m’y baigner, et m’ayant ôté mes vêtements, il me fit entrer dans l’eau. Lui-même s’assit au bord, et, ap-