Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/431

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puyant son menton sur le pommeau d’or de sa vieille canne, il me regardait jouer. Je vins à porter mes regards sur sa figure vénérable, et je ne sais pourquoi c’est sous cette image qu’il est resté depuis empreint dans mon souvenir.

Nous fîmes le tour de la pointe pour longer au retour la rive de l’Arve. La sécurité était revenue, et le bain m’avait mis en train. Je jouais avec mon grand-père, le tirant par le pan de son habit, jusqu’à ce que lui, se retournant subitement, feignît de me poursuivre en grossissant sa voix. Quand nous atteignîmes le bois de saules, il se mit à se cacher derrière les arbres, et moi à le chercher avec un plaisir mêlé d’émotion, me livrant à une joie éclatante lorsque j’avais trouvé sa cache, ou seulement lorsqu’il était trahi par le bout de sa canne ou de son chapeau.

Un moment je perdis sa trace, et, le cherchant d’arbre en arbre, je m’enfonçai dans le bois sans le retrouver. J’appelai, il ne répondit point. Alors, précipitant ma course et me dirigeant du côté où le taillis me semblait le moins sombre, je manquai le sentier, et je me trouvai sur le rivage, en face d’un objet dont la vue me remplit d’horreur.

C’était la carcasse d’un cheval gisant sur le sable. L’orbite profonde des yeux, le trou des naseaux, la mâchoire décharnée, ouverte comme par un bâillement infernal, et présentant un hideux râtelier, me firent une impression si soudaine et si forte, que je m’écriai de toute ma force : « Grand-père ! oh ! grand-père !… » Mon grand-père parut ; je me jetai contre lui, et je l’entraînai loin de ce lieu d’effroi.

Le soir, quand on me fit coucher, j’étais fort inquiet, agité, redoutant le moment où l’on me laisserait seul,