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comme ces jeunes bergères ; rien de naïf comme leurs phrases précieuses et leurs sentiments à l’eau de rose ; rien de champêtre, de rustique comme leurs élégants corsages, comme leurs gentilles houlettes à rubans flottants. À peine trouvais-je aux plus jolies demoiselles de la ville la moitié de la grâce, de l’élégance, de l’esprit, du sentiment surtout, de mes chères gardeuses de moutons. Aussi leur avais-je donné mon cœur sans réserve, et ma novice imagination se chargeait de le leur garder fidèle.

Enfantines amours, premières lueurs de ce feu qui, plus tard, pénètre, étreint, embrase !… Que de charme, que de riant et pur éclat dans ces innocentes prémices d’un sentiment si fécond en orages !




Le malheur de cette passion-là, c’est que je n’osais pas m’y livrer avec sécurité ; et ceci, à cause d’un entretien très-grave que j’avais eu tout récemment avec mon maître. C’était à propos de la belle conduite de Télémaque dans l’île de Calypso, alors qu’il quitte Eucharis pour la vertu, laquelle conduite nous traduisions ensemble en fort mauvais latin :

Et il précipita Télémaque dans la mer.....

Et Telemachum in mare de rupe præcipitavit, venais-je de traduire, lorsque M. Ratin, c’était mon maître, s’avisa de me demander ce que je pensais de ce procédé de Mentor.

Cette question m’embarrassa fort, tant je savais déjà qu’il ne faut point blâmer Mentor devant son précepteur. Cependant, au fond, je trouvais que Mentor s’était comporté, en cette occasion, d’une façon brutale.