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toutes les punitions, celle que j’aurais choisie comme la plus délicieuse.




Une fois en paix avec ma conscience, et ayant devant moi deux jours de fête, je voulus embellir ma demeure par quelques dispositions qui me souriaient fort. La première fut d’éloigner de ma vue l’Elzévir, le dictionnaire, tous les livres et cahiers d’études. Cette opération faite, j’éprouvai une sensation aussi agréable que nouvelle ; c’était comme si l’on m’eût ôté mes fers. Ainsi, c’est en prison que je devais connaître pour la première fois tout le charme de la liberté.

Charme bien grand ! Pouvoir légitimement dormir, ne rien faire, rêver… et cela à cet âge où notre propre compagnie est si douce, notre cœur si riche en entretiens charmants, notre esprit si peu difficile en jouissances ; où l’air, le ciel, la campagne, les murs, ont tous quelque chose qui parle, qui émeut ; où un acacia est un univers, un hanneton un trésor ! Ah ! que ne puis-je remonter vers ces heures fortunées, retrouver ces loisirs enchanteurs ! Que le soleil est pâle aujourd’hui ! que les heures sont lentes, les loisirs ingrats !

Je retrouve sans cesse cette idée sous ma plume. Chaque fois que j’écris, elle me presse de lui donner le jour ; je l’ai fait mille fois, je le fais encore. En vain le bonheur m’accompagne, en vain les années m’ont apporté chacune un tribut de biens, en vain les jours se lèvent purs et sereins ; rien n’efface de mon cœur ces souvenirs d’alors ; plus je vieillis, plus ils semblent rajeunir, plus j’y trouve un sujet d’attendrissante mélancolie. Je possède plus que je ne désirerais, mais je regrette l’âge du désir ; les biens positifs me