Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/91

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ne variait la lugubre uniformité, l’illustre pénitent, ramené sans cesse sur lui-même, repassait les égarements de sa vie ; il sondait à loisir le vide de la gloire, la vanité des plaisirs ; il se pénétrait de plus en plus du néant des choses humaines ; puis, ému pour Héloïse, dont l’impénitence se dévoilait dans des lettres brûlantes, il retrouvait quelque pieuse ardeur ; un saint effroi relevait son courage, ranimait ses forces éteintes. C’est alors que cet homme, grand autant qu’infortuné, entreprend la difficile tâche d’épurer son âme, de briser les liens qui l’enchaînent encore à la terre, de tendre vers les célestes demeures, et d’y entraîner après lui son amante. C’est alors qu’il écrit cette fameuse lettre où, vainqueur enfin de cette lutte opiniâtre, il tend à son Héloïse une main de secours, il encourage ses efforts, soutient ses pas, et fait luire à ses yeux, au travers de la poussière du sépulcre, la vive et consolante lumière des cieux.

« Héloïse, écrit-il en terminant, je ne vous reverrai plus sur cette terre ; mais lorsque l’Éternel, qui tient nos jours entre ses mains, aura tranché le fil de cette vie infortunée, ce qui, selon toute apparence, arrivera avant la fin de votre carrière… je vous prie de faire enlever mon corps, en quelque endroit que je meure, et de le faire transporter au Paraclet, pour y être enterré auprès de vous. Ainsi, Héloïse, après tant de traverses, nous nous trouverons réunis pour toujours, et désormais sans danger comme sans crime ; car alors, crainte, espérance, souvenir, remords, tout sera évanoui comme la poussière qui s’envole, comme la fumée qui se dissipe dans l’air, et il ne restera aucune trace de nos égarements passés. Vous aurez même lieu, Héloïse, en considérant mon cadavre, de rentrer en vous-