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même, et de reconnaître combien il est insensé de préférer, par un attachement déréglé, un peu de poussière, un corps périssable, vile pâture des vers, au Dieu tout-puissant, immuable, qui peut seul combler nos désirs, et nous faire jouir de l’éternelle félicité ! »




J’avais fini depuis longtemps de lire cette histoire, que mon esprit y demeurait tout entier attaché. Le livre sur les genoux, et les regards tournés vers le paysage que doraient les feux du couchant, j’étais réellement au Paraclet, j’errais au pied de ses murailles, je voyais sous de sombres allées la triste Héloïse ; et, tout rempli de sympathie pour Abeilard, avec lui j’adorais cette amante infortunée. Ces images ne tardèrent pas à se confondre avec les objets qui frappaient ma vue : en sorte que, sans quitter l’antique bergère, je me trouvais transporté dans un monde resplendissant d’éclat, et tout rempli d’émotions poétiques et tendres.

Mais outre cette lecture, outre la vapeur embrasée du soir et le brillant spectacle que m’ouvrait la lucarne, d’autres impressions se mêlaient à ma rêverie. Parmi les bruits confus qui, dans une ville, signalent l’activité des rues, le travail des métiers, le mouvement du port, les sons éloignés d’un orgue de Barbarie, apportés par les airs, venaient doucement mourir à mon oreille. Sous le charme de cette lointaine mélodie, tous les sentiments prenaient plus de vie, les images plus de puissance, le soir plus de pureté ; une fraîcheur inconnue parait la création tout entière, et mon imagination, planant dans des espaces d’azur, goûtait au parfum de mille fleurs sans se fixer sur aucune.

Insensiblement je m’étais éloigné d’Héloïse, j’avais