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délaissé son ombre auprès des vieux hêtres, sous les gothiques arceaux ; j’avais navigué sur les âges, et bientôt, perdant de vue les cimes bleuâtres du passé, je m’étais rapproché de rivages plus connus, de jours plus voisins, d’êtres plus présents. Aussi, quand l’orgue vint à se taire, je rentrai dans la réalité, et le gros livre qui pesait sur mes genoux m’étant redevenu indifférent, j’allai machinalement le reporter dans sa case…




Qu’elle est morne l’heure qui succède à ces émotions ! que le retour est amer des éclatants domaines de l’imagination aux rives ingrates de la réalité ! Le soir m’apparaissait triste, ma prison odieuse, mon oisiveté un fardeau.

Pauvre enfant, qui aspires à sentir, à aimer, à vivre de ce poétique souffle, et qui retombes ainsi affaissé sous son propre effort, j’ai compassion de toi ! Bien des mécomptes t’attendent ; bien des fois encore ton âme, comme soulevée par une douce ivresse, tentera de se détacher de la terre pour voler vers la nue : autant de fois une lourde chaîne retiendra son essor, jusqu’à ce que, domptée enfin, faite au joug, elle ait appris à se traîner dans le sentier de la vie.

Heureusement je n’en étais point là ; et, sans sortir de ce sentier de la vie, j’y rencontrais une personne autour de laquelle mon cœur, reportant toutes ses émotions, en prolongeait à son gré le charme et la durée. Cette personne, je ne manquai pas, pour l’heure, d’en faire mon Héloïse, non pas infortunée, mais tendre ; non pas pécheresse, mais aussi pure que belle ; et, comme si elle eût été présente, je lui adressais les apostrophes les plus vives, les plus passionnées…