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Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/97

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inattendues. Pendant que je reste là à réfléchir sur ma situation, je profite du quart d’heure pour faire savoir de qui j’étais amoureux, et comment je l’étais devenu.

Au-dessus de ma chambre était celle d’un habile peintre de portraits. Ce peintre avait le grand talent de faire les gens à la fois ressemblants et agréables. Oh ! quel bon état, quand on le pratique ainsi ! Quel appât merveilleux, où se viennent prendre carpes, brochets, carpillons, et jusqu’aux loutres et aux veaux marins, et de plein gré, et sans se plaindre de l’hameçon, et en remerciant le pêcheur !

Souvenez-vous du bourgeon. Une fois que vous êtes devenu aisé, riche, n’est-ce pas l’un des premiers conseils qu’il vous donne, que de faire reproduire sur la toile votre intéressante, originale, et, à tout prendre, si aimable figure ? ne vous dit-il pas que vous devez cette surprise à votre mère, à votre épouse, à votre oncle, à votre tante ? S’ils sont tous morts, ne vous dit-il pas qu’il faut encourager l’art, faire gagner un pauvre diable ? Si le pauvre diable est riche, n’a-t-il pas mille autres rubriques ? orner un panneau, faire un pendant… Car enfin, que veut-il le bourgeon ? Il veut que vous vous voyiez là, sur la toile, joli, pimpant, frisé, linge fin, gants glacés ; il veut surtout qu’on vous y voie, qu’on vous y admire, qu’on y reconnaisse et vos traits, et votre richesse, et votre noblesse, et votre talent, et votre sensibilité, et votre esprit, et votre finesse, et votre bienfaisance, et vos lectures choisies, et vos goûts délicats, et tant d’autres choses exquises, qui font de vous un être tout à fait à part, rempli de mille et une qualités charmantes, sans compter vos défauts, qui sont eux-mêmes des qualités. Voulant tout cela, est-il étonnant que le bourgeon vous presse,