Page:Topffer - Nouvelles genevoises.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

au nom de votre père, au nom de votre mère, par votre épouse et par vos enfants, de vous faire peindre, repeindre, et peindre encore ? Bien plutôt je m’étonnerais du contraire.

L’art du portrait est donc éminemment lié à la théorie du bourgeon ; et beaucoup de peintres, pour avoir méconnu ce principe, sont morts à l’hôpital. Ils faisaient le brochet, brochet ; le marsouin, marsouin. Grands peintres, mauvais portraiteurs ! les gens s’en sont éloignés, et la faim les a détruits.




Ce peintre avait donc toutes les mines fashionables à reproduire, et il ne se passait pas de jour que l’on ne vît de belles voitures apporter leurs maîtres et les attendre devant la maison. Ce m’était un passe-temps délicieux que de considérer les beaux chevaux, de les voir se chasser les mouches, que d’écouter les cochers siffler, ou faire claquer le fouet. Mais, en outre, ces mêmes personnes qui sortaient de la voiture, et dont je ne pouvais voir le visage de ma fenêtre, j’étais sûr de pouvoir, au bout de deux ou trois jours, contempler leurs traits à loisir et autant que j’en aurais envie.

En effet, le peintre avait pour habitude, entre les séances, d’exposer ses portraits au soleil, en dehors de sa fenêtre, les suspendant à deux branches de fer disposées à cet effet. Une fois qu’ils étaient là, je n’avais qu’à lever les yeux, et je me trouvais au milieu de la plus belle société : milords et barons, duchesses et marquises. Tous ces gens, pendus au clou, se regardaient, et je les regardais, et nous nous regardions.