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L’EXODE

Mensonge !… Mensonge ! Plus rien n’était vrai ! Plus rien ne valait la peine d’être vécu !…

Comme le train approchait de la côte, Philippe aperçut, au mur d’une église, un crucifix dominant les tombes d’un cimetière de village, et où l’Homme-Dieu, couronné d’épines, saignait sous le regard indifférent du soleil affaibli.

Ce christ, écartelé dans cette solitude, par-dessus les petites croix des pauvres gens, parut à l’écrivain d’une atroce ironie.

La-bàs, sur un trône de pourpre et d’or, le chef suprême de Sa morale, muet, prudent, opportuniste, laissait massacrer la Belgique, et, baissant les paupières, il se « lavait les mains » dans le sang des martyrs. Rongé d’amertume, Philippe se rappela les paroles du prêtre qu’il avait rencontré chez Lucienne : Monsieur, j’ai vu des choses à faire douter de la Providence ! La Providence ! Qui donc y pourrait croire encore, depuis qu’on avait permis au kaiser d’enrôler Dieu dans son armée de bandits ?

Quant à Philippe, qui parfois s’était tourné vers Lui dans le doute et la désespérance, il se jura de ne jamais lever les yeux plus haut que le cœur humain de Jésus-Christ. Car, pour l’Eglise, elle avait, selon le mot terrible qu’on devait prononcer bientôt, décrété le moratorium du Sermon sur la Montagne. Comme les banques véreuses, qui retenaient l’argent qu’on leur avait confié, elle faisait banqueroute à ses obligations morales. Et les faibles, d’avoir compté sur elle, se voyaient