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L’EXODE

— C’est vrai, accorda le médecin, mais il m’étonne de vous l’entendre dire ; voilà près de trente ans que vous habitez Bruxelles.

— J’avoue que c’est à Bruxelles que me retiennent presque tous mes souvenirs.

— Les miens sont ici, répliqua Sylvain, je les retrouve au long de ces routes.

Et, du fouet, décrivant un arc d’un bout à l’autre de l’horizon :

— J’ai regretté bien des fois de n’avoir pu me soutenir à Bruxelles. Souvent j’imagine ce qu’eût été ma vie, si j’y étais resté. Mais je me suis fait une raison, et, tout bien considéré, je m’estime heureux de ce que j’ai tenu jadis pour une existence médiocre, parce que j’avais plus d’ambition que de sagesse, ou, plutôt, moins de philosophie que de vanité.

Mettant au pas la jument qui se couvrait de sueur, il s’appuya les coudes aux genoux, laissant flotter les rênes :

— C’est surtout le soir, continua-t-il, quand je reviens de mes visites à la campagne, que ce pays me console et m’enseigne la résignation… Je rencontre des paysans qui peinent jusqu’au bord de la nuit ; j’écoute le murmure des peupliers ; le vent chasse mes idées noires ; j’oublie les ennuis du jour, la mesquinerie des bourgeois d’Ypres et, bientôt, je me sens comme dilué dans l’étendue de ces plaines. Ce qui me reste de pensée flotte alors sur des souvenirs… Je rumine mes ambitions de jadis, mais sans tristesse, car je me dis à pré-