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TROISIÈME PARTIE

Des cavaliers indous, coiffés de turbans, défilèrent en cortège. Les paysans, qui encombraient les rues, garaient leur bétail sur les trottoirs, des bourgeois s’en allaient, traînant leurs valises, des ouvriers, un paquet sur le dos, un autre sur la poitrine, et courbés sous la corde qui leur tirait l’épaule, s’éloignaient de la cité envahie par les soldats.

Prévoyant des jours terribles, la population se préparait à fuir. Mais les autorités calmèrent cette inquiétude. À ceux qui ne se laissaient point convaincre, on refusa tout passeport. Les Anglais, d’ailleurs, se montraient si confiants, qu’on se rassurait à les voir s’installer dans la ville.

Elle était devenue méconnaissable, et le vieux Barnabé lui-même se croyait transporté dans l’Orient des Mille et une Nuits.

Le soir, sur la Place, quand il se rendait à la Concorde, les feux de bivouac éclairaient un grouillement de figures étranges, des chariots, des tentes et des drapeaux, tout cela dans le clair obscur d’une eau-forte à la Rembrandt.

Au ciel, des faisceaux de projecteurs se croisaient, brossant les étoiles. Dans les rues, des façades en pleine clarté se doraient d’une splendeur fantastique. Sous la lueur obscure des réverbères, passait le flot incessant des canons et des soldats. On voyait luire une cuirasse, un fer de lance, un mors d’acier ou le point rouge d’une cigarette, et, le fumier assourdissant les bruits, on croyait assister au passage d’une légion de fantômes,