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L’EXODE

d’un souper », l’autre des « racines cubiques », en manière de légumes ; et chacun y mettait son « grain de sel », à défaut du quartier de bœuf, dont ils espéraient apaiser leur faim.

Dans l’intervalle, Philippe et le Dr  Claveaux dévalisèrent les boulangeries du voisinage, le vieux Barnabé ouvrit sa cave à vin, un officier anglais fit présent d’un Chester, et les territoriaux, largement abreuvés, se partagèrent une caisse de cigares, que Mme  Claveaux leur offrit avant d’aller se coucher.

Le lendemain, au lever du jour, on les aperçut au bord du trottoir, sac au dos, prenant le café, avant de partir pour la bataille. Durant la nuit, les cuisines étaient arrivées.

On descendit souhaiter bonne chance aux soldats. Le lieutenant, au nom des hommes, embrassa Mme  Claveaux ; les fillettes agitèrent leur mouchoir vers ces braves gens qui allaient à la mort ; puis on rentra, le cœur serré.

— Pauvres bougres ! dit Sylvain, en essuyant son pince-nez d’or. Ils n’ont pas même une voiture d’ambulance…

Bientôt, on entendit un lointain orage ; la première bataille d’Ypres commençait. Des cuirassiers passèrent au galop, le sabre nu et la crinière flottante, mais, à cause du fumier, on n’entendait plus le sabotement des chevaux. Une odeur écœurante flottait dans la ville. Parfois, les attelages, lancés à fond, glissaient sur des immondices et s’abattaient dans une mare de sang.